A. Un savoir-faire riche

Rich Know-how

C'est une histoire merveilleuse où mythes fondateurs, secrets de famille, arts et traditions et grande détermination se mêlent dans les arômes et les saveurs. C'est l'histoire de Moufida Aloulou Masmoudi, (1933-2018), plus connue pour sa marque de pâtisserie "Madame Masmoudi", qui part à la conquête de l'Europe. Le destin fera d'elle l'héritière d'une grande tradition, nourrie d'un Orient imaginaire fort et de savoir-faire subtils. La volonté et le travail acharné finiront par faire d'elle un succès. Comme d'autres confrères, elle a donné à la pâtisserie tunisienne un nouvel ensemble de raffinement et de créativité, utilisant en plus les innovations du design packaging et les leviers marketing.

Un pâtissier au Palace ou une brillante success story

Qui ne connaît pas aujourd'hui, en Tunisie et même en Europe, les Pâtisseries Masmoudi, cette large et fabuleuse gamme de gâteaux inspirés de la pure tradition sfaxienne et qui sentent bon les parfums de leur terroir !

Ce qui est moins connu, c'est l'histoire émouvante d'une famille réunie autour de la mère qui a réussi, au fil des années, à se forger une réputation sans faille, dans un domaine sensible. C'est l'épopée d'une femme modeste mais exceptionnelle, au tempérament inné de battante infatigable ; on dirait aujourd'hui un militant. Depuis près d'un demi-siècle de dur labeur, elle a su allier tradition et modernité, évoluant d'un artisanat à caractère strictement familial à une activité qui certes préserve le travail manuel, mais qui sollicite les techniques industrielles pour rationaliser et améliorer la production. Fière de ses quinze printemps, à l'occasion d'un voyage mémorable à Tunis à la fin des années quarante du siècle dernier, elle vit la nuit du destin s'ouvrir à elle (laylat al-qadr).

 

Lors d'une visite inattendue chez une parente éloignée, plus connue sous le nom de Mimi, qui possédait une pâtisserie au coeur de la ville, sur l'actuelle avenue Bourguiba, très prisée des branchés de la capitale, elle a une révélation : la pâtisserie sera sa vocation. Emna Chérif, une Sfaxienne installée à Tunis depuis une certaine date, avait perfectionné son savoir-faire auprès d'une pâtissière expérimentée du nom de Khadija Kahouagi. Moufida se souvient encore de cette visite initiatique au cours de laquelle elle reçut cette illumination et fit cette fascinante découverte qui lui permit d'apprendre le métier, d'en pénétrer les secrets et de percer ses mystères.

Un jour, elle accompagna Mimi au palais beylical de La Marsa ; Mimi était le fournisseur officiel du palais. Là, à l'occasion du mariage du Prince Slahedine, elle a eu l'honneur de saluer Son Altesse Moncef Bey, ce monarque patriote s'il en est. Ce sont des souvenirs indélébiles, gravés dans l'abîme de la mémoire. Elle retourna au palais qui célébrait la naissance d'Azza, l'aîné des enfants du prince. Lors de sa troisième visite, elle est désenchantée par le faste excessif du dernier des beys, Mohammed Lamine.

Au fil du temps, Moufida a maîtrisé l'art de la pâtisserie au point de susciter la jalousie de parents et amis et même de femmes rompues au métier. Aujourd'hui, elle se souvient encore de la vision prémonitoire qu'elle a eue, se voyant dans une petite Renault conduite par un dénommé Abderrazak, et qui l'a dirigée vers ce qui sera Sfax Al-Jadida (la nouvelle Sfax), à l'endroit où sera construit l'immeuble. construite qui abritera son atelier le plus important. Abderrazak est un prénom qui dérive du substantif arabe rizq, signifiant subsistance, bien, mais qui connote un don divin. De retour dans sa ville natale, elle s'est mariée à l'âge de 22 ans, c'était en 1957 et, par profession, elle s'est mise à tricoter comme beaucoup de femmes à cette époque. Mais bientôt elle se lasse de cette tâche monotone et décide de se remettre à la pâtisserie et de s'aventurer dans ce domaine encore inconnu pour elle, dans une ville si industrieuse, où les femmes ne lésinent pas sur le travail. Mais au fond, il s'agissait autant de répondre à l'appel de sa vocation que d'apporter un complément de revenu à sa petite famille.

Une première commande qui ouvre la voie

Auparavant, et par coïncidence, comme on dit, elle a préparé un jour du baklava et du massepain pour sa propre consommation. De façon inattendue, un parent en visite les a goûtés et a été conquis ; elle a commandé une quantité à offrir en cadeau lors de son prochain voyage en Libye. Apparemment, c'était son premier client; depuis, son carnet de commandes n'est pas vide ; c'était en l'an de grâce 1972.

Jusqu'à la fin des années 60 du siècle dernier, la confection de pâtisseries traditionnelles en Tunisie, et à Sfax en particulier, était une exclusivité familiale. Mais la réputation de qualité supérieure et exemplaire des confections de Moufida grandit et bouleversa bientôt ces traditions culinaires. Très vite, les voisins, le quartier puis toute la ville, séduits par l'authenticité et la créativité de sa production, lui confient la préparation de leurs pâtisseries pour toutes sortes d'événements heureux, malgré la concurrence parfois malsaine. Ainsi, cette femme fut l'une des principales initiatrices du métier de pâtissier à Sfax. A Mimi qui venait souvent à Sfax, elle fournissait sans arrêt, pour ses clients tunisiens, le délicieux massepain devenu sa première spécialité, ce fut un vrai succès. A ce stade, il convient de noter que la recette du mlabbès est un savoir-faire accumulé très avancé et révèle une connaissance approfondie des ingrédients et des arômes, même ceux d'ailleurs. Le glaçage des biscuits est une opération délicate qui nécessite la préparation d'une meringue (blanc d'œuf battu) associée à deux gélifiants : la gomme arabique (smagh gharbi), apportée par l'acacia arabique et la gomme adragante (kthira) qui exsude des tiges de l'astragale, une plante herbacée qui pousse au Moyen-Orient. Ces deux substances, qui permettent à la glaçure de durcir rapidement, sont d'abord marinées pendant une nuit dans de l'eau de rose avec une touche de colorant bleu pour donner aux mlabbes une couleur blanche si brillante et immaculée.

 

De l'atelier artisanal à l'atelier moderne

 

Pour Moufida, plus connue désormais sous son élégant nom de Madame Masmoudi, les affaires étaient en plein essor. Elle était souvent obligée de veiller tard le soir pour satisfaire sa clientèle grandissante ; elle sollicitait même l'aide de ses enfants dès leur retour de l'école, pour décortiquer et broyer les amandes, ou pour surveiller la cuisson. Son mari, cuisinier, a également été sollicité à son retour du travail. C'était époustouflant, mais c'était le début d'une activité qui allait, au fil des années, connaître une courbe ascendante. Du travail artisanal domestique, les Pâtisseries Masmoudi passent en atelier avec l'acquisition d'équipements modernes de broyage et de pétrissage. Au fur et à mesure de son activité, Moufida a fait preuve d'un don de créativité sans cesse renouvelé et, à partir des formes traditionnelles, elle a réussi à réaliser, en plus des baklavas, des gimblettes et des massepains, de nouvelles créations : aïn sbanyouriya, aïn ghezal, dawama...

Mme. Moufida Masmoudi reste passionnée par les particularités de son terroir et ses traditions pâtissières. Ce penchant naturel pour l'art de la pâtisserie fine, nourri par un apprentissage dans une bonne école, lui a permis de maîtriser les recettes et procédés ancestraux, jusqu'à se surpasser et apporter sa propre contribution au rayonnement de cette discipline de la gastronomie. La tradition fonctionne par accumulation.

 

Une sélection méticuleuse des ingrédients

La sélection méticuleuse des matières premières est essentielle à la qualité supérieure des créations Masmoudi. Toutes les plantations de la région et même du bassin méditerranéen sont constamment explorées pour assurer l'approvisionnement en pistaches, amandes, pignons... des meilleurs terroirs. Le travail scrupuleux de ces matières premières, à la main, s'apparente au travail d'un orfèvre fabriquant des bijoux à partir de pierres et de métaux précieux.La recherche constante de saveurs raffinées, le travail soigné de l'esthétique et des formes, associés à ces matières nobles, créent l'harmonie indispensable à la naissance de ces plaisirs bienfaisants

Déjà au Guinness-book avec un baklava géant

 

Ayant réussi à transmettre la passion de la pâtisserie à ses enfants déjà mûrs, Madame Moufida Masmoudi décide en 1992 de fonder une entreprise familiale portant son label et conçue selon les normes modernes de gestion. Concrètement, elle confie à ses enfants la lourde tâche de lui succéder et de poursuivre l'œuvre, et les instruit de travailler dans l'harmonie et le respect mutuel. Ainsi, il fut fait, pour que les Pâtisseries Masmoudi, qui disposent aujourd'hui d'une riche palette de saveurs, de formes et de textures, jouissent d'une notoriété loin d'être usurpée, comprenant plusieurs points de vente disséminés dans tout le pays et en France.

Ces atouts, associés à un effort constant de rigueur, un sens aigu de la qualité et un esprit d'innovation, ont permis de réunir les conditions d'une réussite économique, et en même temps, de valoriser le patrimoine pâtissier national. Au-delà de cette propension constante au professionnalisme à tous les niveaux du processus de production, et au-delà de la passion requise par le métier de pâtissier, l'enjeu est de conquérir le marché international. Ali Baklouti, journaliste empreint de « douce sfaxité », le dit si bien et non sans admiration : « Les Pâtisseries Masmoudi fêtent en 2012 le quarantième anniversaire de leur existence. Dix ans plus tôt, à l'occasion de leur trentième anniversaire, elles ont réussi à s'inscrire au Guinness- livre, en fabriquant un baklava géant.La célébration du quarantième anniversaire représente un événement exceptionnel qui couronnera un long cheminement fait d'efforts généreux et soutenus, de succès et de peines, et consacrera un modèle économique basé sur l'esprit de continuité et la pérennité du label familial, mais aussi sur l'option qualité qui reste une constante incontournable dans la démarche de l'entreprise".

 

 

 

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